KINTSUGI, ou l’art de la réparation

Nous émergeons à peine d’une bien étrange période, et il me faut vous dire (je le constate chaque jour en cabinet) que nous n’en sortons pas indemnes. L’isolement, les restrictions nécessaires, les contrariétés de tous ordres - voire parfois la maladie ou le deuil – ont réactivé pour beaucoup d’entre vous des blessures douloureuses, des failles vécues comme des empêchements à avancer, à se réaliser.

Et c’est à ce propos que je voudrais vous entretenir de réparation, de consolidation, de guérison. Je fais appel pour cela à des souvenirs de voyage au Japon – vous commencez à bien connaître ma passion pour ce pays et sa civilisation. Mon attention y a parfois été attirée, et je vous parle par exemple de bols de cérémonie du thé, par des objets marqués de fines lignes dorées irrégulières. Il s’agit d’ustensiles ayant fait l’objet d’une réparation «Kintsugi».

Le Kintsugi - qui signifie littéralement «jointure en or» - est en effet une méthode japonaise de réparation des céramiques ou porcelaines fêlées ou brisées, au moyen d’une laque mêlée de poudre d’or. Cette technique ancestrale, apparue au XVème siècle, consiste à réparer un objet en soulignant ses lignes de faille avec de la véritable poudre d’or. Ce travail délicat met donc les cicatrices de l’objet en valeur, plutôt que de les masquer. Le Kintsugi est vraiment l’art de la patience: entre les différentes couches de laque et le temps de séchage, la réalisation peut prendre plusieurs mois; la sève du laquier saupoudrée d’or durcit progressivement, se renforçant au fil des mois.

Et c’est de ce pays où les tremblements de terre sont fréquents, et donc les occasions de casse nombreuses, que nous prenons notre leçon de philosophie. Le Kintsugi va en effet bien au-delà d’une simple pratique technique et artistique. On touche à la symbolique de la résilience et de la guérison. Soigné, puis honoré, l’objet cassé assume son passé et devient paradoxalement plus résistant, plus beau et plus précieux qu’avant le choc. La casse de cet objet précieux ne signifie pas sa fin, ni sa mise au rebut, mais un renouveau, le début d’un autre cycle, et une continuité dans son utilisation. Il ne s’agit pas de cacher les réparations, mais de mettre celles-ci en valeur. Le Kintsugi souligne le caractère irréversible du temps qui passe et l’aspect éphémère de toute chose. Il invite à reconnaître l’humble beauté des choses simples, imparfaites et atypiques, patinées par les années et les épreuves.

Et si nous nous attachions à la symbolique du Kintsugi comme outil de réparation psychologique? Arrêtez un instant votre pensée sur cette métaphore parfaite de résilience: les épreuves deviennent des opportunités de reconstruction, les cassures le creuset d’un embellissement, d’un enrichissement, ce qui va faire de vous une personne précieuse et unique. Tel un Kintsugi vivant, vous aussi les épreuves peuvent vous transformer: dans vos cicatrices se niche un trésor!

On peut ainsi continuer à s’émerveiller de cette métaphore, en la prolongeant par une comparaison intéressante: en Europe, en Slovaquie tout particulièrement, on utilise dès le XVIIème siècle de fines bandes de fer laminé pour réparer les poteries brisées. Les raccommodeurs slovaques, virtuoses du travail du fil de fer, voyagent ensuite dans tout l’Empire austro-hongrois et au-delà de ses frontières. L’artisanat du fil de fer atteindra son apogée au XIXème et XXème siècle.

À y bien réfléchir, allez-vous choisir de «redresser» vos manques, vos failles et vos blessures avec du fil de fer (comme les anciennes générations avaient coutume de le pratiquer), c’est à dire avec sévérité, brutalité, voire violence envers vous-même? Ou bien allez-vous chérir vos cicatrices, et leur offrir un traitement, un accompagnement délicat et patient, une mise en valeur faite de bienveillance et de reconnaissance mêlées?

Faites-vous confiance: la philosophie du Kintsugi, de même qu’un thérapeute inspirant, peut vous accompagner tout au long de votre processus de guérison, jusqu’à retrouver vous-même votre unité, votre intégrité et tout votre éclat.

Et récoltez tous les trésors de l'été!

Marianne Roze